dimanche 28 avril 2019

d’Elseneur





Pirotte est grand chez lui je me promène
En pays de connaissance et d’harmonie
Sa pirouette oublie de se prendre au sérieux
Pirouette de Pirotte Hue cocotte

Je retourne à Elseneur chez Laurence Olivier
Il flotte dans l’air le parfum d’Ophélie
Et le souvenir du tabac d'Ivan mon professeur
Qui emporta son anglais chez lui à Mens en montagne

Je retourne chez Larbaud
Le trop précieux bourgeois des connaisseurs
Réfugié dans la brume scandinave
Dans l'aurore boréale
Dans le gris du chien et loup et les ultimes lueurs du soir 
Où résonne le beau nom cormoran 
Et son cri de couleur

Depuis la demeure qui redit Luther ou Calvin
Quand le coucher de soleil s’étire
En bleu d’azulejos égarés dans ce Nord
Où la mort pose la question irrémédiable

dimanche 28 avril 2019


VALERY LARBAUD



ODE

  Prête-moi ton grand bruit, ta grande allure si douce,
  Ton glissement nocturne à travers l'Europe illuminée,
  O train de luxe! et l'angoissante musique
  Qui bruit le long de tes couloirs de cuir doré,
  Tandis que derrière les portes laquées, aux loquets de cuivre lourd,
  Dorment les millionnaires.
  Je parcours en chantonnant tes couloirs
  Et je suis ta course vers Vienne et Budapesth,
  Mêlant ma voix à tes cent mille voix,
  O Harmonica-Zug!

  J'ai senti pour la première fois toute la douceur de vivre,
  Dans une cabine du Nord-Express, entre Wirballen et Pskow.
  On glissait à travers des prairies où des bergers,
  Au pied de groupes de grands arbres pareils à des collines,
  Étaient vêtus de peaux de moutons crues et sales...
  (Huit heures du matin en automne, et la belle cantatrice
   Aux yeux violets chantait dans la cabine à côté.)
  Et vous, grandes places à travers lesquelles j'ai vu passer la Sibérie et les monts du Samnium,
  La Castille âpre et sans fleurs, et la mer de Marmara sous une pluie tiède!

  Prêtez-moi, ô Orient-Express, Sud-Brenner-Bahn, prêtez-moi
  Vos miraculeux bruits sourds et
  Vos vibrantes voix de chanterelle;
  Prêtez-moi la respiration légère et facile
  Des locomotives hautes et minces, aux mouvements
  Si aisés, les locomotives des rapides,
  Précédant sans effort quatre wagons jaunes à lettres d'or
  Dans les solitudes montagnardes de la Serbie,
  Et, plus loin, à travers la Bulgarie pleine de roses...

  Ah! il faut que ces bruits et que ce mouvement
  Entrent dans mes poèmes et disent
  Pour moi ma vie invincible, ma vie
  D'enfant qui ne veut rien savoir, sinon
  
 Espérer éternellement des choses vagues.


               Valéry LARBAUD (1881-1957)
                           A.O Barnabooth, ses oeuvres complètes, 1913

Aucun commentaire: